Cette biographie, à l’articulation du récit personnel et des chantiers de recherches, est un travail de mémoire tardif sans retour aux archives.
*
Les liens en bleu renvoient aux projets plus longuement traités.
Je suis l’auteure des photos ici présentées, sauf quelques-unes au © signalé.
PREMIERS PAS
ZONES LIMINAIRES
Bidonville Le Bardot — San-Pedro
Pour une commande de la Mission du Patrimoine, j’ai tourné un film dans les Cévennes sur le troisième âge. Ainsi est né le désir de porter mon regard à l’intérieur de mondes aux frontières de la société dominante, tels ceux de mes personnages dont la plus jeune avait 81 ans. Par la suite, je me suis intéressée à d’autres formes de relégation, harem, prisons, ghettos : des « hors-lieux » pour reprendre la notion de Michel Agier.
Il s’agissait moins de me consacrer aux raisons de l’exclusion qu’aux échafaudages intimes et aux initiatives personnelles en posant la question des échappées —réelles ou fantasmées— à l’intérieur de ces espaces fermés. Pour peu qu’on s’attache à la vision propre des malades dans une institution psychiatrique Ervin Goffman [Asiles,1968] montre que des compétences apparaissent et que les multiples intrigues apparemment insensées deviennent lisibles.
Ghetto de Bel Air – Devant un hôtel de passe – Abidjan
La question des « hors-lieux » pose celle de l’émancipation à laquelle je me suis intéressée de manière incidente au cours de mes différentes enquêtes. Avec l’esclave Malik Ambar qui devint Régent Sultan d’un royaume en Inde dont il modifie profondément le cours et avec les tentatives d’ascension rapide des petits joueurs de foot d’Abidjan qui finissent par ne porter que les rêves de leurs parents et de leurs coachs. Mais trouvent là une manière de sortir du « pâtir ».
AVEC ET SANS LA SOCIÉTÉ QUI EXCLUT
Si les terrains que j’ai étudiés ont occupé des géographies diverses, un même questionnement a guidé mes enquêtes. Comment des êtres humains relégués s’opposent-t-ils au vide et reconstruisent-ils de nouveaux liens quand le corps s’immobilise ? Avec quelles nouvelles données de l’espace et du temps ? Avec quels imaginaires ? Avec quels rituels et objets réinvestis de sens ? Toujours en relation avec et contre la société qui exclut.
En voulant sortir du discours victimaire, j’ai privilégié une réflexion sur le contenu subjectif de l’expérience centrée sur la question du récit de soi mêlé à des métaphores identificatoires, souvent porteuses d’actions ou de déplacements.
Ce travail aussi bien saisi par l’écrit, la photo, le cinéma, se décline en projets —films et écrits— mis en ligne sur ce site.
- Enfermement social
Le Reflet de la vie
— Personne âgées en France hors des normes du travail
Contes et Décomptes de la cour
— Femmes de harem au Niger hors du genre dominant
Si bleu, si calme
— Détenus de la maison d’arrêt de la Santé hors la loi
Bronx Barbès – Après l’océan
— Ghettomen ivoiriens et migrants clandestins hors espaces licites
Go de nuit, les belles oubliées – Go de nuit, les belles retrouvées – Little go girls
— Jeunes filles en rupture avec la loi. Casa et Abidjan hors protection
- Emancipation
Malik Ambar
— Esclave abyssin devenu roi en Inde du XVIe/XVIIe. Livre
Enfants du ballon
— Jeunes joueurs face aux premières barrières du foot ivoirien
TERRAINS SENSIBLES
« Terrains sensibles » : l’expression est arrivée dans les répertoires académiques dans les années 1990 quand, de plus en plus nombreux, des chercheurs furent amenés à se confronter à des situations de violences dérobées [ou non] aux regards extérieurs mais en interférence avec des interlocuteurs stigmatisés voire en danger, souvent dans l’illégalité.
Ces conditions me sont devenues familières dès que j’ai commencé à me rendre dans des prisons d’hommes, de femmes, des ghettos urbains, sur des tapins ou chez des migrants clandestins. Si l’ethnologue cherche toujours une place qui justifie sa présence, dans ces « hors-lieux » il faut trouver un récit-bouclier qui permette d’agir, rencontrer, enregistrer en confiance et des appuis forts en sachant que les accords de départ ne peuvent jamais être garantis. Notamment dans les ghettos où on n’échappe pas à la labilité intrinsèque du fonctionnement. Dans ces endroits sans institution, il suffit de pas grand-chose pour que tout se retourne, y compris contre celui qui vous protège. L’effet de meute devient alors dangereux.
Le premier pas consiste à se démarquer des journalistes perçus comme intrusifs et dans une recherche de l’immédiat : la mauvaise photo à la Une du lendemain ! L’avantage de la recherche est le temps et, par-dessus tout, pouvoir revenir et revenir.
Gars du ghetto intégré dans l’armée après avoir pris part aux milices lors de la crise post électorale
Extrait :
- Question – « Vous qui allez étudier des situations parfois dramatiques, qu’est-ce que vous faites au fond pour que les choses aillent mieux ?
- Geffray – De toute façon, dès qu’il y a vérité, il y a effet. ».
La perspective de la réalisation d’un film au long cours a souvent été pour moi un sésame. Les femmes de harems qui se pensaient inintéressantes voyaient là une attention valorisante. Les jeunes ghettomen aux rêves saturés de héros de blockbusters américains n’avaient aucun mal à se substituer à Will Smith ou à Wesley Snipes. A la maison d’arrêt de la Santé, la tenue d’un atelier annuel a favorisé l’approbation du film par les détenus qui y percevaient l’enjeu d’une création dans un univers répétitif.
DIVERSITÉ DES SITUATIONS
Ce parcours a mobilisé différentes situations d’enfermement. Certaines obéissaient à la légalité comme un harem au Niger, une prison ou l’organisation du troisième âge dans un pays occidental. Les autres surgissaient comme des fabrications spontanées aux marges de l’illégalité : Ghettos urbains des jeunes Abidjanais, migrations clandestines, prostitution urbaine de mineures au Maroc et en Côte d’Ivoire.
Lorsqu’on pénètre dans ces lieux liminaires, la vie peut paraître raréfiée au premier regard. L’œil extérieur finit par s’habituer à l’obscurité et par distinguer un geste fugitif, des espaces cryptés où tout se passe, des silences lourds de sens, des petites résistances qui prennent force par leur persistance.
Je m’attache aux capacités de ces êtres à se singulariser par la recherche de moments d’émancipation en bravant les assignations majoritaires. Mais les sentiments d’inutilité, les petites haines de soi, la conscience de ne pas être reconnus comme les autres renforcent les penchants autodestructeurs. Hubris et annihilation entremêlées.
Fabrique – 30’
Écriture cinématographique
Maisons de personnes âgées – Prison – Harem