Cette biographie se place à l’articulation du récit personnel et des manières dont j’ai pris part à ces chantiers de recherches.
Un travail de mémoire tardif sans retour aux archives, sans doute subjectif et incomplet.
Chaque lien en bleu renvoie au projet plus longuement traité.

CINÉMA
LES FORMES CANONIQUES DU SAVOIR

Après l’océan – tournage ©tomaBaqueni
Le cinéma et l’anthropologie voient le jour à la fin du XIXe siècle en même temps qu’ils se « marient » avec des succès divers. En ces périodes de consolidation des empires coloniaux anglais et français, il fallait rapporter le monde des indigènes « tel qu’il était » dont les films, les objets, les enregistrements musicaux et les photos témoignaient. C’est ainsi que les grandes expéditions furent filmées et que les ethnologues partirent aux confins des territoires conquis. Dès lors, l’image, le son, la muséographie restèrent attachés à cette discipline.
UNE FORME PERSISTANTE
Après la Deuxième Guerre mondiale, et au moment où s’affirmait l’idée d’un cinéma au service de la science et de la critique du colonialisme, est née une forme cinématographique particulière, reprise de décennie en décennie par les chercheurs : le Film ethnographique. La tradition locale, l’authenticité des mondes sauvages étaient défendues au nom d’un regard objectif offert par le commentaire univoque de l’ethnologue ; parfois accompagnés de témoignages corroborants. Les acteurs —individus ou collectifs— étaient réduits à des fonctions : le chasseur, le guérisseur, le prêtre… « Les pêcheurs Sorko savent accepter avec courage leur défaite » [Rouch : 1952]. Ils agissaient en gros êtres privés de parole sur leur propre culture : des « idiots culturels » ironisait Harold Garfinkel. L’intelligence des événements n’émanait pas des images et des sons qui n’avaient qu’un statut illustratif.
Ni du cinéma, ni de l’ethnographie mais un contre-modèle qui m’a éclairée au milieu de mes incertitudes : je ne savais pas comment j’allais filmer mais je savais ce que je voulais éviter ; je découvrais que l’explication, registre principal de la science, était l’ennemie du langage sensible.
Avec la production d’un réel fini ou fermé par l’explication, plus aucune dynamique ou contradiction ne pouvait surgir des identités d’emblée cadenassées ; pas plus de place pour le spectateur qui devait se soumettre à un savoir univoque.
L’image échappe à la logique discursive des mots et aux forces intrinsèques du cinéma : le silence et le vide. «Le silence est la plus belle conquête du parlant » disait Henri Jeanson en parlant de l’histoire du 7ème art.

Contes et Décomptes – Caméra Aaton et enregistreur Nagra – Niger
Dès les premières scènes du film Les Temps du pouvoir, j’ai perçu que le tournage transformait ma relation au terrain en comparant à la période où je travaillais avec des notes écrites et quelques photos.
Je sentais que l’attention se déplaçait à mesure des échanges à l’intérieur de situations particulières qui différait selon que la finalité fut l’image ou le livre.
Les outils de présence —la caméra et le magnétophone— font entrer directement les partenaires dans le travail qui s’accomplit. De cet engagement émerge une nouvelle réalité qui bouge. Un tournage n’est pas « l’application » d’une enquête pas plus qu’il n’obéit à la l’enchaînement scientiste : réflexion /enquête /repérage /tournage /projection… Le cinéma pénètre le processus même de la recherche en brisant ces étapes « évolutionnistes » par des allers-retours ou des bifurcations. Naît alors un espace de construction des connaissances avec les acteurs mêmes grâce aux places et aux enjeux communs d’un présent partagé.