Cette biographie, à l’articulation du récit personnel et des chantiers de recherches, est un travail de mémoire tardif sans retour aux archives.
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Les liens en bleu renvoient aux projets plus longuement traités.
Je suis l’auteure des photos ici présentées, sauf quelques-unes au © signalé.

CINÉMA

ÉCONOMIE DES FILMS

Après l’océan – Tournage sur le port @tomaBaqueni

PREMIERS TOURNANTS

Avant les années 1980, le CNRS prenait en charge la totalité du financement de la recherche y compris les films. Cela a été la grande chance de Jean Rouch. Et à sa suite celles d’anthropologues partis avec des caméras sur le terrain. Puis le désengagement général des puissances publiques a changé la donne. Les chercheurs ont été poussés vers le marché et ceux qui réalisaient des films devaient trouver des coproductions montées ou non avec le CNRS.

Les Temps du pouvoir – Gardes royaux

Ma planche de salut fut la naissance de la Sept devenue Arte. La chaîne acheta Les Temps du pouvoir financés par le CNRS et entra directement en coproduction sur le suivant, Tidjane ou les voies d’Allah. Par la suite Arte accompagna la plupart de mes films.

Thierry Garrel, directeur de l’unité documentaire, poussa avec succès le renouveau d’une écriture cinématographique moins factuelle plus personnelle : « Je n’ai eu qu’une seule ligne de conduite : faire de la télévision d’auteur » clamait-il. Il poussait les chercheurs à sortir du « film illustré » construit sur des postures durkheimiennes, bon pour les séminaires internes !

Je voyais se profiler une économie possible entre mes films issus de mes recherches ethnologiques et la production cinématographique, notamment avec la transition soudaine vers les grands festivals internationaux : Berlinale, Locarno, Rotterdam, Venise, Édimbourg, Londres…

Ces longs métrages demandaient en moyenne trois ou quatre années de travail ; je les consignais dans mes rapports annuels au CNRS au titre de ‘publications’. J’y ajoutais la réflexion sur les liens entre sciences sociales et cinéma dont j’ai fait la matière de mes cours à l’EHESS. Mais cela n’a pas été un chemin de roses avec la Commission de nos pairs qui nous jugeait. Longtemps restés conservateurs. Aujourd’hui, la mise en avant de modes d’écriture innovants compte pour le concours du CNRS.

LONGS MÉTRAGES DE FICTION

Après l’océan – Tournage ©tomaBaqueni

« Téléfilms » ou « Films de cinéma ». Encore un découpage administratif qui a de fortes répercussions sur les manières de produire, de financer et de médiatiser. Ce n’est ni la même liberté, ni forcément les mêmes festivals, ni les mêmes médias. Un schisme à jamais irréconciliable en France qui a construit le prestige sur la sortie en salle.

Après l’océan. Shad et Tétanos [Fraser James et Lucien Jean Baptiste] ©tomaBaqueni

Cette économie des salles dans les pays africains de l’Ouest  —à l’époque où elles existaient—  a permis un partage immédiat dans une relation cinématographique. Un passage à la télévision malienne, ivoirienne ou burkinabée n’aurait jamais eu cet effet avec une presse dithyrambique.

Bronx Barbès a dépassé les records de Titanic dans les salles payantes de Côte d’Ivoire. Cela a continué dans tous les pays francophones. Ces chiffres révèlent la présence d’un public populaire et retournent le sol des culturalistes et identitaires de tout bord, adeptes de l’étanchéité des cultures. Personne dans ces pays n’irait payer une place de cinéma pour un film français  -réputé ennuyeux-  s’il n’avait pas une chance de s’y reconnaître. Des milliers d’Africains ont répondu par des files d’attente si longues que certains cinémas de petites villes ont décidé d’ajouter des séances à minuit.

Bronx Barbès – Tarek Aziz, Toussaint, Nixon 
[Jimmy Danger, Anthony Koulhei, Loss Ousseini]

En France, le prix à Locarno n’a pas précipité les foules dans les salles mais le film a bougé la presse qui découvrait une Afrique urbaine, violente, aux parlers de rue décapants. On sortait des « films calebasses » estampillés « Films africains ». Cette veine née au Burkina Faso était favorable aux histoires villageoises, parfois dans la langue vernaculaire mais aussi dans un français posé, grammaticalement juste. Comme si les cinéastes africains avaient besoin de se conformer à un « bien parler » dont moi je n‘avais évidemment que faire. Surtout j’ai pu entendre la poésie du « nouchi », langue de la rue ivoirienne, un français « décalé » qui a fait mon bonheur de Française et qui devint pour la première fois celle des dialogues de longs métrages de cinéma, comme Après l’océan pour ce qui me concerne. D’autres réalisations africaines ont fait suite.