Cette biographie se place à l’articulation du récit personnel et des manières dont j’ai pris part à ces chantiers de recherches.
Un travail de mémoire tardif sans retour aux archives, sans doute subjectif et incomplet.
Chaque lien en bleu renvoie au projet plus longuement traité.

PREMIERS PAS
THÈSE

Ma thèse intitulée « Une aristocratie coloniale. Histoire et changements politiques en pays hausa, Niger » [1980] portait sur les chefferies dites « coutumières ». Je mettais en question le dualisme entre tradition et modernité ; cette aporie ressassée à l’envi empêchait de voir la continuité du politique, des guerres esclavagistes précoloniales à l’État contemporain. Les intronisations hautes en couleur, que l’on attribuait volontiers aux longues traditions de ces royaumes, découlaient en fait des jeux de pouvoir entre lignages d’origine princière tous dispersés sur le même maillage politique coutumier et étatique.
L’histoire me donna raison, les intronisations de chef de canton rassemblent désormais les hauts représentants de l’administration centrale et beaucoup d’autres notables : ce rituel jadis d’importance très locale est devenu la manifestation politique d’un lignage. C’est ce maintien dans tous les corps administratifs et commerciaux qui explique le déploiement de magnificences durant trois jours. Trois jours, le temps d’un mariage entre un homme et une femme, le temps du mariage d’un homme à la souveraineté symbolisée par une jeune vierge, le temps des cavaliers enturbannés sur des chevaux harnachés de cuir rouge-or, et celui des hommes imposants en vastes boubous brodés, des griots à tous les coins de rue, des bœufs et ovidés occis pour des centaines d’invités.
En 2018, quarante après, Samna Aboubacar Marafa, fils du Samna que j’ai connu, offrit pour son intronisation une fête en grandes pompes aux élites politiques au-delà même les frontières avec une très forte présence d’hommes éminents du monde hausa dont Mohamed Bazoum, ministre de l’intérieur par la suite devenu président de la République du Niger.


Intronisation du Samna Aboubakar Marafa. 5 mai 2018
Photos de basse définition données par ses frères ©famille Marafa
GUERRES, ESCLAVAGE, MALADIE … LES GRANDS SUJETS
Il est arrivé que des fils d’esclaves ou de paysans pauvres aient pu gravir des sommets grâce à l’école coloniale William Ponty lorsque les nobles patriarches, méfiants à l’égard de cette institution, envoyaient leurs obligés à la place de leur fils. Cependant, avoir une origine « esclave » est restée une « tache » transmise de génération en génération comme le montre l’ouvrage collectif dirigé par Claude Meillassoux, prolongement d’un séminaire très suivi. Plus tard, Marc Augé avec Jean Bazin proposaient chaque année un grand sujet pour ces lieux d’émulations où nous aimions nous retrouver. Il en sortait souvent des ouvrages collectifs. En fin de séance, la question rituelle ‘tu viens boire un pot ?’ demandait à peine une réponse. Le café comptait presque autant que le reste.
Meillassoux, C. (éd.) 1975, L’esclavage en Afrique précoloniale. Ed. Maspéro, Paris.
Éliane de Latour : “CR”– In: Journal des africanistes, 1976, tome 46, fascicule 1-2. pp. 259-261.
Bazin, J. Terray, E. (éd.) 1982. Guerre de lignages, guerres d’Etat. Ed. Archives Contemporaines, Paris.
Éliane de Latour : “La paix destructrice”
Piault M.H. (éd) 1985. La colonisation : rupture ou parenthèse ? Ed. Harmattan, Paris.
Éliane de Latour : “Le futur antérieur”
A l’EHESS, les séminaires de Claude Meillassoux, plus tard de Marc Augé avec Jean Bazin étaient très suivis. Chaque année un grand sujet était lancé avec des pistes de recherches à partir de ces lieux d’émulations où nous aimions nous retrouver. En fin de séance, la question rituelle ‘tu viens boire un pot ?’ demandait à peine une réponse. Le café comptait presque autant que le reste.
— “La paix destructrice” in Guerre de lignages, guerres d’Etat.
Bazin, J. Terray, E. (éd.) 1982. Éd. Archives Contemporaines, Paris.
— “Le futur antérieur” in La colonisation : rupture ou parenthèse? Piault M.H. 1985. Ed. Harmattan, Paris.

Sarki Samna Marafa, le matin
Je décidais de me stabiliser dans le canton de Tibiri en bordure de la frontière avec le Nigeria à partir duquel je rayonnerai. Le chef Marafa venait d’être intronisé Samna. Juste avant, il était simple gendarme-motard en ville. Son parcours me plaisait. Il m’accueillit avec grande gentillesse. Plus tard, je réaliserai un long métrage documentaire dans la cour de ses femmes cloîtrées.
Pour l’heure, je plongeais dans une mémoire encore vive rapportée par la tradition orale qui s’arrangeait avec l’histoire de telle sorte que les orateurs étaient toujours les descendants de ceux qui dominaient, comme une impossibilité de se penser en vaincus dans le monde d’aujourd’hui —évidemment— mais aussi dans celui d’hier qui passait par une esthétique de l’achèvement : héros armés de magie, chevaux de guerre vénérés, récits de bravoure, cannibalisme rituel…
Je complétais ces savoirs par des incursions dans les archives coloniales et apprenais d’autant plus vite le hausa que j’avais du plaisir à pénétrer dans ce monde très visuel dont j’ai tiré mon doctorat, mon premier film et mes premiers écrits ethnographiques.