Cette biographie, à l’articulation du récit personnel et des chantiers de recherches, est un travail de mémoire tardif sans retour aux archives.
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Les liens en bleu renvoient aux projets plus longuement traités.
Je suis l’auteure des photos ici présentées, sauf quelques-unes au © signalé.
MOUVEMENTS DES IDÉES
VENTS D’AILLEURS
Après l’Océan ©tomBaqueni
Un renouvellement épistémologique en provenance du monde anglo-saxo a traversé les sciences humaines dès les années 1980. Cliford Geertz inventeur de la « description dense » [strates multi-sémiques] – Harold Garfinkel à l’origine de l’ethnométhodologie – Irvin Goffman défenseur de la « microsociologie » – James Clifford pourfendeur d’une anthropologie fondée sur la réification de « l’indigène » née du biais colonial. Et d’autres moins présents à ma mémoire et sans doute à nos débats.
Cette lecture de l’essentialisation des labels ethniques était aussi en chantier en France avec Jean-Loup Amselle, Marc Augé, Jean Bazin, Alban Bensa… Ce courant [Le sauvage à la mode (1979), Au cœur de l’ethnie (1985)] développait une critique des savoirs anthropologiques et s’en prenait aux notions de totalités et de structures anhistoriques. A leurs yeux, on plaquait des acquis sur une réalité dont seule l’analyse des énoncés in situ ou les descriptions fines pouvaient rendre compte.
Je me souviens de Jean brandissant Wittgenstein pour qui les mots ne pouvaient contenir les « choses » mais juste offrir leurs unités syntaxiques. A mes yeux, un janséniste de l’énoncé ! Malgré tout, cette mise en question du pré-pensé et des modèles qui transforment le terrain en chambre d’enregistrement était intéressante.
En cassant le face à face sentimental de l’ethnologue avec son ethnie-objet, cette critique a rendu plus attractives les enquêtes multi-situées en liens avec des groupes qui en mouvement qui traversaient les frontières, bougeaient, amalgamaient leurs ressources, s’hybridaient…
Les terrains se diversifiaient à l’extrême en même temps que la notion de point de vue situé prenait force. C’est au ras de l’expérience des interlocuteurs que l’espace des positions sociales et les récits déployés offrent une perception de ce qui fait collectif, et de l’échelle à laquelle il s’établit. Une enquête ne se construit pas avec des emporte-pièces mais par tâtonnements et incertitudes.
PLAN RAPPROCHÉ
Ces changements ont été particulièrement bénéfiques lorsqu’avec une caméra j’avançais sur la question de la réclusion sociale avec une attention accrue à la labilité de la vie intérieure.
Cette rupture avec les méthodologies classiques favorisait une jonction avec des fondements du cinéma : contexte et espace-temps, acteurs et interactions, polysémie de la parole, situations d’ambivalences, subjectivité émotion.
L’élan ainsi pris allait encore beaucoup plus loin avec Bruno Latour que j’ai personnellement découvert par un texte « Efficacité́ ou instauration ? » resté longtemps dans un tiroir, ressorti à l’occasion d’un cours à donner sur La caméra outil de l’œil ? Pour avoir été une aatonienne dès mon premier film [voir Des yeux candides], je savais profondément fausse la séparation entre outil, action, pensée, comme la logique linéaire de la fabrication d’un film qui sépare administrativement écriture, tournage et montage. Depuis toujours je savais qu’un film se faisait en se faisant. Je me suis souvenue chez Latour de l’exemple du marionnettiste agi par sa marionnette autant qu’il l’agit. J’ai remplacé « marionnette » par « caméra » et j’ai fait mon cours !
ÉCOLOGIE DE L’INTÉRIORITÉ
Bruno Latour m’a conduite vers Philippe Descola, Baptiste Morizot, Dona Haraway, Anna Tsing… et d’autres penseurs montés au créneau sur la crise climatique. Leur réflexion sur l’interdépendance inhérente au vivant à partir des capabilités de chaque être a pris une force extrême avec le Covid.
Étrange, je connaissais Philippe Descola depuis longtemps puisque nous partageons la même discipline mais le voyais de loin comme un pourvoyeur de grands modèles préconçus en bon élève de Levi-Strauss. Je l’ai redécouvert par ses prises de positions politiques sur le climat et ses écrits qui invitent au décentrement de notre modernité à partir de ce qui en parait le plus éloigné : la pensée de l’intériorité des indigènes achuar. Il porte la réflexion ethnologique où elle est le plus propice à l’humanité : au lieu-même de sa tragédie.
Avec ces auteurs mes engagements écologiques de toujours trouvèrent un espace de pensée où ils pouvaient s’exprimer et s’articuler. Sérendipité oblige, un projet de film nullement prémédité a pris corps à cet endroit. Animus femina.