Cette biographie, à l’articulation du récit personnel et des chantiers de recherches, est un travail de mémoire tardif sans retour aux archives.
*
Les liens en bleu renvoient aux projets plus longuement traités.
Je suis l’auteure des photos ici présentées, sauf quelques-unes au © signalé.
MOUVEMENTS DES IDÉES
‘NI MICRO, NI MACRO’
Cet article est illustré par les photos d’Abidjan de Toma Baqueni issues du film Après l’océan.
« L’anthropologie n’est ni micro, ni macro, mais plutôt bancale » disait Maurice Bloch de manière subtile. Le « macro » dominait les années 1970/80, il était difficile d’échapper aux théories de la détermination sociale : domination chez Bourdieu, inconscient chez Freud, rapports de production chez Marx et surtout structuralisme chez Lévi Strauss qui dominait la discipline.
La pensée en blocs dualistes était en vogue : nature/culture, sujet/objet, science/art, dominants/dominés, centre/périphérie, tradition/modernité… Une opposition qui en se donnant comme totalité empêchait de percevoir les interactions constitutives des pratiques sociales, leur mouvement historique. Une « totalité » objectivante qui freinait les approches par le sensible, les affects, les émotions.
Georges Balandier [1] dont j’étais élève s’opposait à cette vision et cherchait de nouvelles synthèses autour des théorie du changement social corrélé aux mutations historiques et aux actions des individus en prise avec le mouvement, les rapports de force, les contradictions. Il a fini par se définir comme sociologue laissant l’identité d’anthropologue à Lévi-Strauss. Il marquait ainsi la différence théorique évoquée et, sans doute, la mésentente personnelle assez vive entre les deux hommes.
[1] Ses ouvrages les plus remarquables : “Sociologie des Brazzavilles noires” [1955] et “L’Afrique ambiguë” [1957] sur la fin du colonialisme.
PARTAGE DES EAUX
Lorsque Lévi-Strauss entrait au Collège de France en 1959 avec de gros moyens institutionnels pour construire un laboratoire sur le modèle des sciences dures ; Balandier, à l’École Normale Supérieure où il enseignait, débaucha quelques jeunes hussards pour développer le Centre d’Études Africaines qu’il avait fondé en 1955. Il voulait renforcer l’africanisme face à l’américanisme de Lévi-Strauss et développer le travail sur les « dynamiques sociales » par l’orientation de ses thésards, Marc Augé, Emmanuel Terray, Pierre Bonnafé, Jean Bazin… Il leur donna en plus des postes dans l’institution et des affectations de terrains de recherches en Afrique.
En 1984 je rejoignais ce Centre d’Études Africaines sans jamais avoir été à l’aise avec ce découpage en aires culturelles, ni avec la rigidité des disciplines en sciences humaines. C’était plus le fait des académies que des chercheurs. Pour moi seuls les questionnements rassemblent, en aucun cas les frontières.
En 2008, j’intégrais l’IRIS* né de l’initiative de Didier Fassin et d’Alban Bensa dont j’étais proche amicalement. Ce grand laboratoire était centré sur l’expérience des acteurs au sein de contextes, sur l’enquête et l’historicité des faits.
*[Institut de recherche interdisciplinaire sur les enjeux sociaux]
Les écritures s’ouvraient doucement à de nouvelles formes moins scientistes d’autant que la perception par l’image et par le son devenait légitime dans les vieilles institutions du « tout-écrit ».
Bien sûr avec leur attirance pour le surréalisme, Leiris, Rouch avaient en leur temps brisé des barrières pour se tourner résolument vers la littérature et la fiction cinématographique.
Aujourd’hui, il s’agit plus de questionner les « dispositifs », une notion rebattue dans le cinéma qui permet de comprendre combien la méthode et ses résultats interagissent en permanence. [Voir Chap. Cinéma / Dispositif]