PENSER À L’ÉPREUVE DU VIVANT

Les modes de domination capitaliste redoublent violence et injustices sur les humains les plus faibles  —une évidence—  en même temps ils broient les principes mêmes de la vie sur terre. On ne peut plus analyser les sociétés humaines sous le seul prisme de la « domination ». Avoir un regard transversal n’est pas une « option méthodologique » mais une absolue nécessité pour relier le social au vivant dont il est, dont il vit, dont il meurt.

C’est à la fin du premier COVID que j’entreprends des films portés par mes convictions écologistes et une empathie ancienne pour les animaux. Sans enquête préalable, ils naissent de mon désarroi face à la tragédie qui s’annonce — L’attention que j’ai pu porter au point de vue situé sur mes autres terrains nourri mon engagement envers le vivant et mon glissement vers une réflexion sur les interdépendances, enjeu majeur porté par Bruno Latour et bien d’autres.

Le vivant, le climat, la justice écologique comme horizon  critique – Pour moi, un point de non-retour.

APARTHEID DE BONNE CONSCIENCE

La question de la discrimination traverse mes recherches, en particulier lorsqu’elle touche au continent noir, trop souvent réduit à une série de stigmates : esclavage, colonisation, recrutements forcés, naufrages migratoires, statuts illégaux, ou encore charité internationale.  Face à ces poncifs, je me suis attachée à mettre en lumière des personnages en rupture avec les schémas d’Africains passifs qui n’auraient pas été complètement acteurs de leur histoire et ne seraient entrés que négativement dans celle des autres ; au mieux comme victimes, ce qui obture le regard.

Ce prisme affecte sans doute la place des acteurs noirs en Europe. Leur émergence reste marginale. Les rôles dits universels leur échappent, et —mécanisme aussi cynique que crétin— on leur oppose qu’ils ne seraient pas « bankables » !

Après l’Océan-Otho [Djédjé Apali]©tomaBaqueni

Après l’Océan – Tétanos-Olga-Shad ©tomaBaqueni
[Lucien Jean Baptiste, Sara Marins, Fraser James]

Une sorte d’apartheid de bonne conscience voudrait, qu’en plus, le cinéma sur les Noirs soit réalisé par les Noirs et, bien sûr, les femmes doivent filmer les femmes, les Bretons filmer les Bretons, et pourquoi on ne confierait pas aux girafes les films animaliers !

Rares sont les films faits par des Africains qui traitent d’Européens blancs par exemple. La plupart du temps les Africains traitent d’affaires africaines où qu’elles se situent sur le globe, mais toujours à propos de peaux noires. Doublement cantonnés. Pourquoi ? Pourquoi les artistes africains ne seraient inspirés que par des êtres détenteurs de la même quantité de mélanine ? Et pas par des Finlandais ou d’autres en Amazonie ou des Indiens du Punjab par exemple ? Surtout, pourquoi ne pas faire voler en éclat ces identités cadenassées pour de grandes traversées croisées qui feraient sauter les cloisonnements a priori ?

Le concept d’«identité » devrait d’ailleurs être cantonné aux services publics en charge des cartes nationales, et ne plus être une catégorie de l’entendement. Il enferme, il empêche de voir mouvements et hybridations.