ANIMUS FEMINA

Long métrage documentaire – 1h40

Productions — Films d’ici Méditerranée / Les films du Tambour de soie

Ours, loups, bouquetins, bisons… bien présents sous les rayons d’un soleil d’hiver. Lointains dans la neige d’une montagne gelée, ils émergent d’un rêve perdu qu’on voudrait saisir à nouveau. Quatre dames de la faune nous entraînent dans une exploration des mondes sauvages à travers la réparation, la réflexion scientifique, l’art et le « vivre-avec ».
Quatre tisseuses de mondes nous invitent à décentrer nos regards et repenser les façons d’habiter le monde avec force et poésie.

« Non contents d’être nous, humains, locataires d’une insignifiante planète perdue dans le cosmos [merci Copernic], de descendre de surcroît du singe [merci Darwin], de ne même pas être maître de notre propre conscience [merci Freud], nous voilà remis à notre place parmi les animaux [merci Descola]. »

Olivier Bron et Simon Libermann

DÉCOLONISER LES CLASSEMENTS DU CINÉMA

©Isis Olivier

Pour beaucoup de « professionnels de la profession », filmer des animaux suffit à faire basculer un film du côté « animalier », ce qui le place dans des circuits spécifiques. Il est vrai que l’émerveillement devant la nature tient souvent lieu d’engagement écologique, réduisant l’image à sa seule fonction spectaculaire.

Pourtant, même lorsqu’un récit dépasse largement le zoo-exotisme, il est aussitôt étiqueté « Nature », comme si le Cinéma, lui, ne pouvait relever que de la « Culture ». Le vieux dualisme  — pourtant obsolète — continue de structurer les logiques de classement chez les décideurs  : financeurs, festivals, distributeurs, exploitants. Philippe Descola appelle à « décoloniser les concepts qui étayent les découpages modernes de la réalité » — une invitation qui vaut aussi pour ces visions réactionnaires du du 7ᵉ art.

Inventer des récits en relation avec d’autres espèces, affranchis des hiérarchies prédatrices, me semble aujourd’hui l’unique voie pour sortir le cinéma de ses impasses anthropocentriques. L’Homo sapiens est devenu une « espèce invasive » (J. Hublin). Sa domination fait peser une menace sur toutes les autres formes de vie. Les quatre tisseuses de mondes  que je filme incarnent le nécessaire décentrement — par la réparation, la réflexion, l’art, le vivre-avec.

NAISSANCE CROISÉE

Aigrette à l’Hôpital de la Faune sauvage

Ce film prend forme dans les gestes de Marie-Pierre Puech au contact des êtres à plumes et à poils qu’elle soigne dans l’Hôpital de la Faune Sauvage, au cœur des Cévennes. En la filmant, quelque chose s’ouvre : une empathie ancienne pour les animaux, souvent victimes de violences  — comme tout abus de pouvoir, insupportable à mes yeux. de tout temps Le film nait ; je renais avec lui.

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Petit best-off animal – 3′

Cette rencontre a réactivé une réflexion critique sur les approches universalistes qui ont essentialisé les différences et expliqué « le social par le social » comme l’exprime Bruno Latour. À partir du vivant —avec des penseurs comme Descola, Haraway, Tsing ou Morizot…— il a remis en cause les dualismes asséchants, réhabilité l’agentivité des non-humains, et ouvert d’autres manières de cohabiter avec eux.  Leurs modes de pensée défient notre relation au monde face à une tragédie que nul ne peut esquiver.

©Isis Olivier

Ce mouvement interdisciplinaire ne saurait se dissocier de la dimension artistique. Dès l’apparition d’Homo sapiens sapiens, l’animal figure au cœur des premières expressions visuelles, au plus profond des cavernes. En grâce, en puissance, en présence. Tout y engage de la pensée — « une direction de notre existence » (Merleau-Ponty), toujours active par l’émotion que ce bestiaire archaïque continue de susciter.

QUATRE TISSEUSES DE MONDES

Animus femina est un récit à quatre voix en partage avec les sentiments de révolte qui m’animent. Quatre femmes qui par leurs aptitudes propres retissent des liens que les « Modernes » (au sens Latourien) rompent et hiérarchisent.

Sara

Sara, dans le documentaire d'Eliane de Latour

Chargée de recherche au CNRS du laboratoire LOCEAN, spécialiste de l’Antarctique en biologie marine, Sara étudie les manchots et les phoques, sentinelles des bouleversements océaniques. Face au déni persistant, elle alerte sur le dérèglement du pôle Sud, tout en questionnant l’empreinte carbone de sa propre science. Avec d’autres, elle cherche des méthodes plus sobres, dans l’espoir d’une relation éthique avec le vivant.

Sara, dans le documentaire d'Eliane de Latour
Sara, dans le documentaire d'Eliane de Latour

©Sara Labrousse

Dernière scène dans le film

Sous l’eau, Sara danse avec tous les animaux dont on perçoit les voix. Elle les remonte vers la lumière du soleil — emblème d’une humanité réconciliée avec le vivant.

– demain ?
« Pourquoi notre liberté est-elle supérieure à celles des autres espèces ? Nous devons effacer ces frontières entre le sapiens et le reste du vivant. »

Marie-Pierre

Par le soin et la remise en liberté d’animaux sauvages, la vétérinaire engage une éthique de la réparation et de la responsabilité. Sur tous les fronts — justice, publications, alertes sanitaires, lutte contre un urbanisme hostile — elle agit sans relâche. Jusqu’à recevoir des menaces. En parallèle, elle collabore avec le Muséum d’Histoire naturelle pour documenter la coévolution du vivant via une épidémio-surveillance.

Dernière scène dans le film

Marie-Pierre, au milieu des 77 hec du domaine de Nicouleau qu’elle vient d’acheter, y entraine la jeune Manon : « c’est sa génération qui va relever le défi. »

– demain ?
« Ce sera un couloir écologique avec des abris préconstruits pour chaque espèce. Il y aura : soins, éducation, sensibilisation, recherche sur le vivant. Un lieu d’art. En somme un espace d’apaisement entre humains et animaux. »

Isis

Artiste d’origine britannique, Isis peint la part sensible du sauvage. Ses œuvres, inspirées par les patients de l’Hôpital, tissent un lien atemporel entre humains et bêtes, mythe et écologie. Évoquant les bestiaires des grottes, les modèles d’Isis semblent animés d’intentions; ils dégagent une liberté archaïque chargée des premiers pactes entre Homo sapiens et animaux.

Dernière scène dans le film

Isis décroche les toiles des corbeaux, ce charognard mythique que bien des collectifs indigènes du Nord voient comme un fripon créateur du monde — loin de la perfection des sept jours !

– demain ?

À nous de réintroduire ces alliances oubliées dans le grand concert narratif occidental.

Francine

Perchée dans une zone ré-ensauvagée des Asturies, Francine vit seule parmi les animaux, sa « famille ». Grâce à eux, elle a retrouvé souffle et sens, loin d’une fin sous oxygène due à une malformation de naissance. Elle défend son sentier de montagne contre les bulldozers lancés pour en faire une piste de quads — sans renoncer aux promos du supermarché à une journée de marche. Juste humaine, Francine taille sa liberté et celle des animaux.

Sa mère, qui l’avait soutenue enfant lorsqu’elle vivait corsetée, est montée la rejoindre sur la montagne — malade, en fin de vie — pour ne plus jamais en redescendre.

Dernière scène dans le film

Jeannine guérit de sa tumeur au cerveau parmi les chats et les roses. Sans confort ni chimie, loin de l’ordre médical et social.

Elle est arrivée de France dans la voiture d’une amie au pied de la montagne. Francine munie d’une chaise l’a aidée à monter. Cela a pris une journée.

– demain ?

Figure du passé, la mère est désormais l’élan présent de sa fille qui l’accompagne jusqu’au dernier souffle, offert là où la vie renaît toujours.

MUSIQUE DE PIERS FACCINI

©Sandra Mehl

Pour sortir du centrage humain, il fallait une musique en résonance avec le monde animal. C’est la force de Piers Faccini, poète-musicien anglo-italien, enraciné dans les Cévennes dont les sons épousent le vivant. Sa musique traverse Animus femina comme sa respiration.

Nous partageons le même désir de rassembler nos forces pour qu’un jour toutes les sonorités des multiples vies restent chevillées au corps de la planète bleue.

MISE EN SCENE

©Isis Olivier

Le film suit une scansion en trois temps : origine harmonieuse, chaos productiviste, renaissance en symbiose. Chaque personnage est construit par un traitement sonore qui lui est propre.

Marie-Pierre parle sans cesse — à elle-même, aux autres, à la caméra. On comprend qu’elle est tout le temps comme ça dans la vie !

Francine parle en off. Il fallait laisser le flot se déployer, puis extraire, après coup ce qui construit le sens.

Isis crée en silence.

Sara est filmée – son synchrone – en France, dans son laboratoire et dans le Mercantour. Pour l’Antarctique, où nous ne pouvions aller, elle est en voix off sur des images tournées par elle et Jean-Benoît Charrassin — regards sensibles sur des écosystèmes fragilisés.

Grâce à eux, j’ai pu recevoir les enregistrements de Simon Targolwa, acousticien en hivernage à Dumont d’Urville — échos rares d’un monde immaculé, captés pour comprendre les interactions sonores du vivant.

©Sara Labrousse et Jean-Benoît Charrassin

IMAGE

Au départ, je pensais qu’il fallait un chef op animalier, tant je tenais à la beauté des animaux. Mais j’ai vite compris que ce n’était pas le même métier : affût, matériel de cosmonautes, esthétique Walt Disney ou Géo — hyper-piquée. Or c’est le mystère qui nous tient en éveil : un œil, une patte, un flou suffisent à faire surgir un présence.

J’ai travaillé avec Lucien Roux, jeune cadreur, qui a le sens de la magie et de la lumière qui entoure ces rencontres ; pour lui une demi corne suffit à évoquer le bouquetin entier, un peu comme Vincent Munier dont j’aime beaucoup le travail novateur.

FABRICATION

Cévennes bleues

J’ai commencé avec Les Films du Tambour de soie à Marseille, puis Les Films d’ici Méditerranée ont rejoint le projet, avec Serge Lalou. Ami de longue date, j’avais déjà travaillé sur plusieurs films fiction et documentaire qui ont été en compétition officielle à Locarno et à Berlin. Pour me rapprocher de la production et des lieux de tournage, souvent dans les Cévennes, je me suis installée dans le Midi pendant plus d’un an.

Anthropologue et réalisatrice, j’ai toujours travaillé à partir de mes terrains. Même si ce film échappe à cette logique, je ne peux écrire sans une relation concrète à l’expérience. Je ne crois pas à la chaîne administrative classique du cinéma français : Écrire/Repérer/Tourner/Monter. pour moi, le processus s’élabore dans un va-et-vient continu entre tournage, montage et écriture où chaque étape reconfigure la suivante et participe à la construction de la narration. Cette méthode peu compatible avec les normes de production, demande souplesse, énergie et temps à tout le monde !