SI BLEU, SI CALME

Réalisé par Éliane de Latour

Écrit avec
Lotfi, Hervé, Koffi, Alain, Benoît, Jacques, bruno, Yves
incarcérés à la Maison d’Arrêt de la Santé – Dit pas eux.

Long métrage documentaire – 70′

Production – Les Films d’ici –  Canal Plus – Arte – CNRS audiovisuel – Aaton
Distribution – Noria films

Première mondiale au Festival de Locarno, Cinéastes du présent

Le ciel est par-dessus le toit ; si bleu, si calme !
Un arbre, par-dessus le toit, berce sa palme

Verlaine (Sagesse)
Prison de Mons 1876

Comment résiste-t-on à la privation de liberté ?

Derrière la prison sérielle, uniforme, se dissimulent autant de prisons que de détenus. Par des brèches inventées et bricolées, chacun s’évade par la pensée, les rêves, des petits gestes intimes. Menues conquêtes de liberté greffées sur le temps carcéral.

Dans les espaces collectifs —couloirs, escaliers, ronds-points— circule une vie réglée par les gardiens de l’ordre autour des parloirs, du courrier, des cantines, de la promenade, des repas, d’une douche supplémentaire… aux lisères de l’inaccessible.

RÉALISATION

Une seule et même question a été posée à tous les détenus. « Comment surmonte-t-on la privation de liberté ? Chacun a répondu par le récit de son propre enfermement. Écrit et storyboardé dans les cellules. Aucun n’a évoqué les conditions carcérales : la déchirure première, c’est l’arrachement au monde. Les détenus n’accompagnent plus rien, ni une ballade, ni une fête, ni un projet, ni un amour… Décente ou sordide, la prison broie, déresponsabilise, rend passif.

Chacun s’efforce de tenir tête à l’effondrement intérieur en agissant sur le cadre imposé. Les rituels personnels s’opposent à ceux de l’institution pénitentiaire. Objets semés aux frontières d’une intimité difficile à protéger : photo, télévision, pubs découpées, petits placards en carton, carte postale, carnet de note… Ou refus de toute installation — mur nu pour Lodfi/ vêtements entassés dans des sacs pour Jacques.

En un instant, tout peut s’effondrer et la prison reprend ses droits : sons brutaux, vie privée violée, rythmes imposés. Il faut reconstruire.

De l’autre côté de la porte, le jour, ça circule sans relâche. La nuit, tout s’éteint. Les surveillants vont et viennent selon un ballet ordonné. Certains, par de minuscules écarts, déplacent un peu les murs — de simples gestes qui renversent tout.

INTENTION

Si Bleu si calme cherche à franchir le premier mur de mots rencontrés en détention, un langage revendicatif qui permet de tisser un « nous ». Ce film porte sur l’enfermement pas sur les conditions carcérales. Il tente d’atteindre une parole singulière — celle qui fait parler l’absence et remet du mouvement  par des petites conquêtes de liberté inscrites dans une temporalité réinventée.

La cellule, lieu de l’imaginaire, vient s’ancrer dans des photos. Seule une image libérée du temps, presque mentale, peut donner accès à une  temporalité « hors la vie ». Elle offre en outre au spectateur une place plus réflexive, sans voyeurisme. À l’inverse, les espaces collectifs  —mouvements et surveillants—  sont filmés au rythme de l’institution.

Pour prendre le contrepied du naturalisme, j’ai joué la dissociation. Entre cellule et prison/ Entre question et réponse/ Entre présent du cinéma et subjectivation du temps de l’enfermement.

À la Santé, j’entre avec Foucault en tête —Surveiller et punir—son dispositif scopique qui écrase l’individu. Et par ailleurs, une littérature fixée sur des dualismes récurrents : dedans/dehors, sujet/objet, dominants/dominés… Pour moi, les questions sont ailleurs.

Comment en sort-on dedans ? De la grande porte d’entrée au seuil des cellules, quels murs —tangibles ou symboliques— structurent l’espace carcéral ? Comment composer avec les multiples formes de socialisation imposées pour exister au sein du millefeuille pénitentiaire ? Questions qui prennent corps à l’écoute des détenus.

Un mouvement vers le dedans forge un « nous » face au pouvoir. Un mouvement vers l’extérieur projette les paroles singulières au-delà des murs. La cellule, au plus profond de l’enfermement, se lit alors comme un lieu où des moments de liberté sont possibles. Je pense à Primo Levi qui récite et traduit à un Français un passage de Dante — pris d’émotion, il écrit : » l’espace d’un instant, j’ai oublié qui je suis et où je suis ». C’est sous cet angle que Si Bleu, si calme est conçu.

« Je ne suis plus en prison, ni dans mon lit en prison. » Bruno

Touchée par le joli message de Pierre Bourdieu, je le reproduis ici.

Pressé par le temps, je vous ai mal dit, l’autre jour, combien j’avais aimé votre “Si bleu, si calme”. La rencontre que vous avez organisée avec les détenus m’avait déjà donné une idée de l’intérêt mais aussi de la difficulté de travailler dans le cadre de la prison. J’ai été très impressionné par l’heureux mélange de recherche esthétique et théorique que réalise votre film. J’ai trouvé particulièrement intéressant la manière dont vous rompez avec la mythologie de la parole spontanée et directe, en ayant recours à la fois à des compositions photographiques et à des textes écrits par les détenus. On voit bien que la représentation de soi n’est pas une donnée immédiate mais, spécialement dans l’existence désocialisée qu’impose l’incarcération, quelque chose qui doit être reconquis par un travail de réappropriation du langage et des autres instruments socialement constitués de l’expression personnelle.

Bien amicalement à vous.
Pierre Bourdieu

MAKING OFF

TV-Rencontres – Maison d’Arrêt de la Santé
Plateau TV – Regards sur les photos des cellules


Débats avec Pascal Aubier auteur de Valparaiso, Valparaiso.

Pour entrer à la Maison d’Arrêt de la Santé, je propose à la direction un atelier sur le documentaire de création. Chaque mois, je propose un film à visionner, accompagné de documents pour nourrir l’analyse. La semaine suivante, un débat s’engage avec le réalisateur ou le producteur sur le plateau de TV Rencontres. La chaîne interne est animée par une autre équipe de détenus, qui filme les échanges, les monte et les diffuse en complément du long métrage.

« Intervenante extérieure », j’ai accès aux parloirs avocats où je peux rencontrer les détenus individuellement. Je leur demande de me décrire leur cellule en détail avec leur mode de vie dedans. Je comprends peu à peu comment des pratiques singulières ouvrent un espace-temps où l’individu agit sur sa propre incarcération par des micro-gestes : prises électriques bidouillées, cartes punaisées, bougie allumée après l’extinction, lettres, petits plats échangés, réchaud bricolé, rires en coursive… La prison se reconfigure au quotidien à travers ces formes d’invention minuscules, sans pour autant échapper aux violences banales du quotidien. Progressivement, je me tourne vers la part la plus subjective et intérieure de l’enfermement :

Textes et story boards écrits en cellule

Au bout de six mois, je propose aux détenus de mon groupe la réalisation de Si Bleu, si calme dont ils co-auteurs. Une fois lancée la question fondatrice et chacun reparti dans sa cellule, j’ai craint des textes trop semblables — mêmes 9m², mêmes rythmes, mêmes cantines, mêmes parloirs… Les récits étaient radicalement différents. Pari gagné !

Nous avons alors fabriqué le film ensemble. Textes travaillés en parloirs – Voix enregistrées dans un placard à balais – Photos et mises en scène dans chaque cellule. Il fallait traduire ce que chacun imprimait à ces murs uniformes avec les outils de l’image : noir et blanc pour les murs nus de Lodfi/ bleu monacal pour Hervé/ couleurs chaudes pour Koffi et son « village » africain/ cadres rétrécis pour Jacques en refus…

La Première a eu lieu à la Cinémathèque française, à Chaillot. Moment dense en présence de la direction de la Santé, de quelques surveillants et des détenus libérés — ceux du film et des groupes suivants. Ils avaient pris en charge le buffet, guidés par l’un d’eux, fin connaisseur. Non plus détenus, administration et surveillants, mais convives autour d’un film. Une brèche, fugace, dans l’ordre établi.

Prix

Mention au Prix Europa

Mention au Festival international de Lisbonne

Sélectionné pour le Prix Georges Sadoul

INPUT
(Conférence Internat sur les contenus innovants)

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Si bleu, si calme – LM – 70′
VF/VA/VE
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Si bleu, si calme – Canal Plus
Partie 1
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Si bleu, si calme – Canal Plus
Partie 2

« Un beau film surprenant. » Une photographe redonne beauté aux damnées de la prostitution. »

Le Monde

«  Institution contre individu, voilà un point de vue passionnant. »

Le Parisien

«  On a jamais filmé le monde carcéral comme ça. »

Télérama

«  Une impression de réalité inédite que seul Bresson avait su toucher. »

Les cahiers du cinéma

« Dans les tous premiers rangs de documents  »carcéraux » . »

Libération

La Prison intérieure.
N°26, Eté. Pp 36-45, 1998

REVUE DE PRESSE

Quelques extraits

« Si bleu si calme tel est le titre du très beau film réalisé par Eliane de Latour. Comment surmonte-t-on la privation de liberté ? Eliane de Latour a posé la question à huit détenus de la Santé. Avec elle, ils ont composé un film surprenant. »

Le Monde

« Un film hors norme sur l’enfermement. »

AFP

« Un beau documentaire à l’esthétique particulière. Le résultat est impressionnant. Tout simplement formidable. »

Le Figaro

« Cette oeuvre est dans les tous premiers rangs des documents « carcéraux ». Par l’utilisation subtile de l’image (arrêtée ou animée) Si bleu si calme fait tomber quelques cloisons entre le cinéma et la photo ; idem entre le cinéma et la radio : la bande son semble avoir été travaillée comme une nuit magnétique de France Culture. »

Libération

« Un travail sensible, intimiste, presque engagé. »

L’express

« Ce qui est certain c’est qu’on n’a jamais filmé le monde carcéral comme ça. On découvre, subjugué, comment chaque corps se meut d’une façon unique dans l’étroit périmètre. »

Télérama

«Cet exceptionnel document nous offre une plongée inédite inhabituelle, dans l’univers carcéral. Institution contre individu, voilà un point de vue passionnant. »

Le Parisien

« Eliane de Latour réussit à faire surgir une impression de réalité tout à fait inédite que seul Bresson avait su toucher dans son Condamné à mort s’est échappé. »

Les cahiers du Cinéma